« J’ai arrêté de lire le livre, et je ne le continuerai pas. Il y a trop de ténèbres … »
Discussion anonyme en voiture
J’arpente une nouvelle fois les dédales de la bibliothèque. Tôt ou tard, je sais pertinemment que je vais être attiré dans la même section, comme à chaque fois. Le simple fait de me retrouver dans ce rayon, je ressens l’adrénaline monter. La transgression d’un interdit, poussé par la curiosité, attiré par la couverture des livres et de leur titre. Je lis chaque résumé en 4ème de couverture. Une porte entrouverte sur l’univers de la Fantasy. J’y aperçois un monde qui s’étend devant moi, dans lequel des créatures imaginaires prennent vie. Des aventures attendent les héros, dotés d’un pouvoir magique, qui leur permettra de lutter contre les forces des ténèbres …
De la légende Arthurienne aux gobelins, en passant par les magiciens et les dragons puis finir sur un ordre de chevalier depuis longtemps disparu … Tant et tant de choses auxquelles je pouvais avoir accès et qui pourtant ne m’étaient pas autorisées. Il m’aura fallu attendre quelques années pour faire mes choix en matière de lecture. Ces choix se sont immédiatement posés sur la fantasy.
Je pensais que je n’aurais plus ce sentiment de culpabilité à la lecture d’œuvre que j’aurais choisie moi-même. En toute liberté. Pourtant j’avais la sensation de commettre une faute, cachée de Dieu, et que je devrais me repentir d’avoir lu un livre appartenant au domaine de la tant décriée fantasy. Que reproche-t-on à la fantasy ? En tant que chrétien, dois-je éviter à tout jamais la lecture de fantasy ? Celui qui souhaiterait écrire de la fantasy serait-il vu comme un faux chrétien ?
Avec les années, j’y ai trouvé mes réponses. Il s’agit de mon cheminement personnel et en aucun cas je ne voudrais l’imposer à autrui. Cependant, mon véritable objectif derrière cet article est de permettre à chacun d’élargir sa pensée afin que le choix que vous ferez soit celui que vous prendrez et non pas celui que l’on vous aura contraint à suivre sans aucune explication.
La Fantasy
La fantasy est un genre littéraire qui regroupe de nombreux sous-genres. En simplifiant, il s’agit d’œuvres imaginaires, pouvant prendre place dans notre monde, ou dans un autre créé de toute pièce dans lequel une force, entité, divinité irrationnelle, surnaturelle, est acceptée et considérée comme normale, ou connu, par les peuples qui composent ce monde.
De manière générale, des créatures légendaires, mythologiques ou imaginaires jouent un rôle important dans ce genre. Il nous faudrait un article dédié à ce qu’est la fantasy pour pouvoir la cerner dans son ensemble. Il était néanmoins indispensable de passer par cette courte définition pour comprendre ce qui joue en défaveur de ce genre littéraire dans le cercle chrétien.
Le surnaturel, les créatures imaginaires, les divinités, la magie sont des termes qui peuvent déjà refréner la découverte de la fantasy. Il existe encore tout un panel de monstres démoniaques, ténébreux qui achève la réputation du genre pour en faire un objet à classer dans la poubelle de l’occultisme ou de l’ésotérisme. Il semblerait que la lecture de ces mots interdits attire les regards réprobateurs. Prenons une liste non exhaustive de tous ces termes qui peuvent déranger : démon, dragon, sorcière, magie, incantation, rituel, occulte, dieux, succube, incube, vampire, spectre, esprit, sacrifice, etc.
Le plus souvent nous nous arrêtons sur les mots qui peuvent être utilisés, sans aller plus loin. Dans cette optique de rejet, de tout ce qui peut être occulte, nous avons cette tendance à prendre certains livres et à les jeter avant de les avoir ouverts.
C.S Lewis, théologien et célèbre auteur des Chroniques du Monde de Narnia, a écrit un livre qui met en scène deux démons échangeant leurs connaissances sur ce qui permet de faire chuter au mieux un chrétien. Ce livre est connu sous le titre de « Les Tactiques du Diable ». À sa lecture, nombreux sont ceux qui ont appris sur ce qui pouvait leur faire défaut dans leur relation avec Dieu et sur leur manière d’être. Ils ont fait cette découverte en « écoutant » la conversation de deux démons.
L’apologie du Mal
« A trop utiliser les ténèbres, c’est en faire l’apologie … »
Discussion autour du Seigneur des Anneaux de J.R.R Tolkien
C’est autour de cette conversation et particulièrement de ces derniers mots retranscrits au-dessus que je me suis interrogé sur ce que devrait être, s’il pouvait exister, un livre de fantasy chrétien. Dans ces moments de réflexion, j’étais entré dans une forme de schizophrénie morale et théologique sur la part que pouvait prendre le Mal dans une œuvre. Et d’ailleurs, une autre réflexion m’était venue en même temps : une histoire de fantasy peut-elle être inspirée de Dieu ?
« Il y a tant de passages sombres, que pour moi c’est impossible que ça soit inspiré de Dieu, et même que l’auteur soit réellement chrétien … »
Passage d’un débat vif sur le bien-fondé des ténèbres dans un roman
Je vais citer une nouvelle fois C.S Lewis. Un des passages des « Chroniques du Monde de Narnia » m’a bouleversé. Alors que je relisais une énième fois ce livre, de prime abord écrit pour les enfants, j’en arrive au moment où Aslan décide de se sacrifier pour sauver la vie d’Edmund. Un Glorieux Roi et innocent, sans faute, qui prend la place d’un traître. Intéressant. Alors que les lignes défilent, l’auteur nous fait une liste de créatures présentes, plus démoniaques les unes que les autres. Des êtres où le seul fait de les énoncer vous fait déjà froid dans le dos. Pourquoi l’auteur a donc choisi un champ lexical basé sur ces créatures aussi précis et angoissant ? Je pense que la réponse est toute simple : pour faire un contraste évident avec la personne d’Aslan et son acte.
Les Ténèbres vont apporter le contraste nécessaire pour que la Lumière puisse ressortir. Faites l’expérience de craquer une allumette en plein jour. Votre source lumineuse n’aura que peu d’efficacité. Reprenez une seconde allumette et allez dans une pièce exempte de la moindre lumière et refaites la même chose. Une toute petite allumette dans un milieu aussi noir que là où vous vous trouvez éclairera presque instantanément et efficacement l’entièreté de la pièce.
Une lampe torche ne vous servira à rien en journée, c’est lorsque l’obscurité arrive que cette lampe rentre dans son plein potentiel. Il en est de même, je crois, avec les ténèbres de la fantasy. Si votre univers, votre monde est clair et lumineux, il n’y aura que peu de contrastes avec ce que proposera l’auteur et sa définition du Bien. Pour qu’il y est un Bien, il vous faut un Mal. Pour qu’il y ait besoin de Lumière, il faut des Ténèbres.
L’aura démoniaque ou sombre que va utiliser l’auteur n’aura donc pour effet que de faire rejaillir la Lumière nécessaire à son histoire. Cela forme un cadre.
Ne s’agit-il pas un peu de ce que nous retrouvons déjà dans notre monde ? Dieu nous demande clairement de prendre position entre Lui et le diable, entre la vie ou la mort, entre la lumière ou les ténèbres. Cette dualité manichéenne existe déjà. Les auteurs de fantasy, bien que prolifiques en imagination, non pas réinventé quelque chose qui fonctionne déjà. Sans ténèbres, sans mort, il n’y a pas d’enjeux.
Ce qui va pousser des Héros, tels que Frodon, Sam et les autres membres de la communauté de l’Anneau à partir en Mordor, c’est pour empêcher les Ténèbres de submerger la Terre du Milieu. Il s’agit d’une forme de prétexte pour lancer l’aventure. S’il n’y a aucun risque à ne pas bouger, pensez-vous qu’ils auraient pris tout ce temps et vécu ces difficultés pour détruire un bout de métal ? Ils seraient restés vautrés chez eux à continuer leur vie.
Ainsi notre monde est déjà rempli de ce genre de fait. Des sorciers, des démons, de la magie. Pourquoi repoussons-nous alors les écrits qui en parlent ou s’en servent de cadre ? Est-ce parce que cela nous fait peur ? Ou peut-être que nous ne sommes pas assez à l’aise avec le sujet ?
Nous nous refusons à voir les choses en face parce que cela nous dérange. Est-ce que finalement nous ne faisons pas tout le contraire de ce qui est prévu à l’origine ? Être des lumières pour faire fuir les ténèbres ?
Les ténèbres au service de la Lumière
La légende d’Arthur est un ensemble d’histoires difficiles à cerner. Il y a eu tant et tant de versions, qu’on ne sait pas toujours, surtout lorsqu’on la découvre, laquelle est l’originale des réécrites. Dans une des versions, on y retrouve Merlin, engendré par un démon qui a pour vocation de devenir l’antéchrist. Rebondissement, les démons avaient mal calculé leur coup. La mère de Merlin sachant cela, a fait tout ce qu’elle pouvait pour arracher son enfant à la destinée qui lui était préparée. Dieu fît grâce et racheta l’enfant.
Ce que met en avant l’auteur, malgré l’origine démoniaque de Merlin, c’est que Dieu fait Grâce et peut racheter n’importe qui, même quand ce dernier est appelé à être l’arme du Diable.
Au travers d’une histoire, des messages sont véhiculés. Un auteur a rarement l’envie de juste raconter une histoire. Il est souvent animé par le désir de transmettre des thèmes qui lui sont chers. Certains vont apporter des épisodes traumatisants de leur vie, d’autres des réflexions, ou d’autres faire l’apologie de choses, néfastes ou fastes, pour leur lectorat.
Les lecteurs de fantasy, ainsi que les auteurs, sont de plus en plus nombreux. Prenons le temps de réfléchir aux conséquences que cela pourrait générer, si aucun chrétien ne prenait sa plume pour raconter des histoires de fantasy ? Certains sont devenus des maîtres de l’art, fascinant par leur écrit en ayant beaucoup d’influence. Les plus connus ne sont pas nécessairement inspirés ou conduis par Dieu.
Il fut un temps où les chrétiens dominaient le monde de la fantasy ( J.R.R Tolkien, C.S Lewis, Charles Williams, … ). Malheureusement, j’ai la triste sensation qu’aujourd’hui, il s’agit d’un genre oublié des chrétiens. A quand, la révélation d’un auteur chrétien de fantasy, travaillant de concert avec Dieu, qui pourra influencer et apporter un regard neuf sur cette littérature ?
La fantasy n’est finalement qu’un support sur lequel sont posés des thèmes et des histoires que l’on veut transmettre. Il ne s’agit que d’un cadre qui peut permettre de faire ressortir la lumière de manière plus intense.
Cette question sur la fantasy est symptomatique d’un sujet plus important. Si nous rejetons des sujets qui peuvent être aussi insignifiants, qu’en est-il des sujets plus importants ? Nous avons cette tendance à nous voiler la face quand à la présence des Ténèbres dans notre propre monde. On peut être amené à penser que ces choses n’existent pas, car cette idée nous apaise. On fait le choix de ne pas regarder la vérité en face. Posons nos livres et nos histoires et regardons à l’extérieur. Les démons, les sorcières, l’occultisme, les sectes sataniques, les sacrifices d’animaux pour des divinités démoniaques, et j’en passe, tout ceci existe déjà.
Il ne s’agit pas d’histoires que nous quittons juste en refermant un livre, c’est ce qui se passe dans le quotidien de certaines personnes. Et si nous choisissions d’accepter que ces choses soient réelles ? Que nous décidions de regarder toutes ces choses en face. Que nous rentrions dans ce plein potentiel. Que nous fassions le choix d’être présent dans un milieu que nous fuyons, pour que nous puissions devenir cette Lumière au sein des Ténèbres.
Dorian Dumoulin
Un article magistral, autant dans le fond que dans la forme! Il devrait être lu dans les églises de toutes dénominations. Il ne parle pas que de littérature, il parle aussi d’une perspective éclairée, d’une spiritualité libre et vibrante, un régal !
Bravo Dorian j’ai pris d’autant plus de plaisir à découvrir ton nom à la fin 👍 You rock !
Whoua!
Merci pour ce super article. Une pépite à partager
Un texte édifiant qui sort des cases. Merci !
Articles très intéressants. Cela permet de se poser les bonnes questions et de ne pas culpabiliser.
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